Testament expliqué par Esope


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Testament expliqué par Esope.

Si ce qu'on dit d'Esope est vrai, 
C'était l'Oracle de la Grèce : 
Lui seul avait plus de sagesse 
Que tout l'Aréopage. En voici pour essai 
Une histoire des plus gentilles, 
Et qui pourra plaire au Lecteur. 

Un certain homme avait trois filles, 
Toutes trois de contraire humeur : 
Une buveuse, une coquette, 
La troisième avare parfaite. 
Cet homme, par son Testament, 
Selon les Lois municipales, 
Leur laissa tout son bien par portions égales, 
En donnant à leur Mère tant, 
Payable quand chacune d'elles 
Ne posséderait plus sa contingente part. 
Le Père mort, les trois femelles 
Courent au Testament sans attendre plus tard. 
On le lit; on tâche d'entendre 
La volonté du Testateur; 
Mais en vain : car comment comprendre 
Qu'aussitôt que chacune sœur 
Ne possédera plus sa part héréditaire, 
Il lui faudra payer sa Mère? 
Ce n'est pas un fort bon moyen 
Pour payer, que d'être sans bien. 
Que voulait donc dire le Père? 
L'affaire est consultée, et tous les Avocats, 
Après avoir tourné le cas 
En cent et cent mille manières, 
Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus, 
Et conseillent aux héritières 
De partager le bien sans songer au surplus. 
Quant à la somme de la veuve, 
Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve : 
Il faut que chaque sœur se charge par traité 
Du tiers, payable à volonté, 
Si mieux n'aime la Mère en créer une rente, 
Dès le décès du mort courante. 
La chose ainsi réglée, on composa trois lots : 
En l'un, les maisons de bouteilles, 
Les buffets dressés sous la treille, 
La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs, 
Les magasins de malvoisie, 
Les esclaves de bouche, et, pour dire en deux mots, 
L'attirail de la goinfrerie; 
Dans un autre celui de la coquetterie : 
La maison de la Ville et les meubles exquis, 
Les Eunuques et les Coiffeuses, 
Et les Brodeuses, 
Les joyaux, les robes de prix; 
Dans le troisième lot, les fermes, le ménage, 
Les troupeaux et le pâturage, 
Valets et bêtes de labeur. 
Ces lots faits, on jugea que le sort pourrait faire 
Que peut-être pas une sœur 
N'aurait ce qui lui pourrait plaire. 
Ainsi chacune prit son inclination; 
Le tout à l'estimation. 
Ce fut dans la ville d'Athènes 
Que cette rencontre arriva. 
Petits et grands, tout approuva 
Le partage et le choix. Esope seul trouva 
Qu'après bien du temps et des peines 
Les gens avaient pris justement 
Le contre-pied du Testament. 
Si le défunt vivait, disait-il, que l'Attique 
Aurait de reproches de lui! 
Comment! ce peuple qui se pique 
D'être le plus subtil des peuples d'aujourd'hui 
A si mal entendu la volonté suprême 
D'un testateur! Ayant ainsi parlé, 
Il fait le partage lui-même, 
Et donne à chaque sœur un lot contre son gré, 
Rien qui pût être convenable, 
Partant rien aux sœurs d'agréable : 
A la Coquette, l'attirail 
Qui suit les personnes buveuses; 
La Biberonne eut le bétail; 
La Ménagère eut les coiffeuses. 
Tel fut l'avis du Phrygien, 
Alléguant qu'il n'était moyen 
Plus sûr pour obliger ces filles 
A se défaire de leur bien, 
Qu'elles se marieraient dans les bonnes familles, 
Quand on leur verrait de l'argent; 
Paieraient leur Mère tout comptant; 
Ne posséderaient plus les effets de leur Père, 
Ce que disait le Testament. 
Le peuple s'étonna comme il se pouvait faire 
Qu'un homme seul eût plus de sens 
Qu'une multitude de gens.