L'Ane et ses Maîtres


Précédente Remonter Suivante

L'Ane et ses Maîtres.

L'Ane d'un Jardinier se plaignait au destin 
De ce qu'on le faisait lever devant l'Aurore. 
Les Coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin; 
Je suis plus matineux encor. 
Et pourquoi? Pour porter des herbes au marché. 
Belle nécessité d'interrompre mon somme! 
Le sort de sa plainte touché 
Lui donne un autre Maître; et l'Animal de somme 
Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur. 
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur 
Eurent bientôt choqué l'impertinente Bête. 
J'ai regret, disait-il, à mon premier Seigneur. 
Encor quand il tournait la tête, 
J'attrapais, s'il m'en souvient bien, 
Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien. 
Mais ici point d'aubaine ; ou, si j'en ai quelqu'une, 
C'est de coups. Il obtint changement de fortune, 
Et sur l'état d'un Charbonnier 
Il fut couché tout le dernier. 
Autre plainte. Quoi donc! dit le Sort en colère, 
Ce Baudet-ci m'occupe autant 
Que cent Monarques pourraient faire. 
Croit-il être le seul qui ne soit pas content? 
N'ai-je en l'esprit que son affaire? 

Le Sort avait raison; tous gens sont ainsi faits : 
Notre condition jamais ne nous contente : 
La pire est toujours la présente. 
Nous fatiguons le Ciel à force de placets. 
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête, 
Nous lui romprons encor la tête.