Le Rieur et les Poissons


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Le Rieur et les Poissons.

On cherche les Rieurs; et moi je les évite. 
Cet art veut sur tout autre un suprême mérite. 
Dieu ne créa que pour les sots 
Les méchants diseurs de bons mots. 
J'en vais peut-être en une Fable 
Introduire un; peut-être aussi 
Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi. 
Un Rieur était à la table 
D'un Financier; et n'avait en son coin 
Que de petits poissons : tous les gros étaient loin. 
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille, 
Et puis il feint à la pareille, 
D'écouter leur réponse. On demeura surpris : 
Cela suspendit les esprits. 
Le Rieur alors d'un ton sage 
Dit qu'il craignait qu'un sien ami 
Pour les grandes Indes parti,
N'eût depuis un an fait naufrage. 
Il s'en informait donc à ce menu fretin : 
Mais tous lui répondaient qu'ils n'étaient pas d'un âge 
A savoir au vrai son destin; 
Les gros en sauraient davantage. 
N'en puis-je donc, Messieurs, un gros interroger? 
De dire si la compagnie 
Prit goût à la plaisanterie, 
J'en doute; mais enfin, il les sut engager 
A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire 
Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus 
Qui n'en étaient pas revenus, 
Et que depuis cent ans sous l'abîme avaient vus 
Les anciens du vaste empire.