Le Statuaire et la Statue de Jupiter


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Le Statuaire et la Statue de Jupiter.

Un bloc de marbre était si beau 
Qu'un Statuaire en fit l'emplette. 
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau? 
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette? 

Il sera Dieu : même je veux 
Qu'il ait en sa main un tonnerre. 
Tremblez, humains. Faites des vœux; 
Voilà le maître de la terre. 

L'artisan exprima si bien 
Le caractère de l'Idole, 
Qu'on trouva qu'il ne manquait rien 
A Jupiter que la parole. 

Même l'on dit que l'ouvrier 
Eut à peine achevé l'image, 
Qu'on le vit frémir le premier, 
Et redouter son propre ouvrage. 

A la faiblesse du sculpteur 
Le Poète autrefois n'en dut guère, 
Des dieux dont il fut l'inventeur 
Craignant la haine et la colère. 

Il était enfant en ceci : 
Les enfants n'ont l'âme occupée 
Que du continuel souci 
Qu'on ne fâche point leur poupée. 

Le cœur suit aisément l'esprit : 
De cette source est descendue 
L'erreur païenne, qui se vit 
Chez tant de peuples répandue. 

Ils embrassaient violemment 
Les intérêts de leur chimère. 
Pygmalion devint amant 
De la Vénus dont il fut père. 

Chacun tourne en réalités, 
Autant qu'il peut, ses propres songes : 
L'homme est de glace aux vérités; 
Il est de feu pour les mensonges.