Du Thésauriseur et du Singe


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Du Thésauriseur et du Singe.

Un Homme accumulait. On sait que cette erreur 
Va souvent jusqu'à la fureur. 
Celui-ci ne songeait que Ducats et Pistoles. 
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu'ils sont frivoles. 
Pour sûreté de son Trésor, 
Notre Avare habitait un lieu dont Amphitrite 
Défendait aux voleurs de toutes parts l'abord. 
Là d'une volupté selon moi fort petite, 
Et selon lui fort grande, il entassait toujours : 
Il passait les nuits et les jours 
A compter, calculer, supputer sans relâche, 
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche : 
Car il trouvait toujours du mécompte à son fait. 
Un gros Singe plus sage, à mon sens, que son maître, 
Jetait quelque Doublon toujours par la fenêtre 
Et rendait le compte imparfait : 
La chambre, bien cadenassée, 
Permettait de laisser l'argent sur le comptoir. 
Un beau jour dom Bertrand se mit dans la pensée 
D'en faire un sacrifice au liquide manoir. 
Quant à moi, lorsque je compare 
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet Avare, 
Je ne sais bonnement auxquels donner le prix. 
Dom Bertrand gagnerait près de certains esprits; 
Les raisons en seraient trop longues à déduire. 
Un jour donc l'animal, qui ne songeait qu'à nuire, 
Détachait du monceau, tantôt quelque Doublon, 
Un Jacobus, un Ducaton, 
Et puis quelque Noble à la rose; 
Eprouvait son adresse et sa force à jeter 
Ces morceaux de métal qui se font souhaiter 
Par les humains sur toute chose. 
S'il n'avait entendu son Compteur à la fin 
Mettre la clef dans la serrure, 
Les Ducats auraient tous pris le même chemin, 
Et couru la même aventure; 
Il les aurait fait tous voler jusqu'au dernier 
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage. 
Dieu veuille préserver maint et maint Financier 
Qui n'en fait pas meilleur usage.