La Forêt et le Bûcheron


Précédente Remonter Suivante

La Forêt et le Bûcheron.

Un Bûcheron venait de rompre ou d'égarer 
Le bois dont il avait emmanché sa cognée. 
Cette perte ne put sitôt se réparer 
Que la Forêt n'en fût quelque temps épargnée. 
L'Homme enfin la prie humblement 
De lui laisser tout doucement 
Emporter une unique branche, 
Afin de faire un autre manche. 
Il irait employer ailleurs son gagne-pain; 
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin 
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes. 
L'innocente Forêt lui fournit d'autres armes. 
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer. 
Le misérable ne s'en sert 
Qu'à dépouiller sa bienfaitrice 
De ses principaux ornements. 
Elle gémit à tous moments : 
Son propre don fait son supplice. 

Voilà le train du Monde et de ses Sectateurs : 
On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. 
Je suis las d'en parler; mais que de doux ombrages 
Soient exposés à ces outrages, 
Qui ne se plaindrait là-dessus? 
Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode : 
L'ingratitude et les abus 
N'en seront pas moins à la mode.